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Bras de fer autour des maladies professionnelles

par Eric Berger / janvier 2013

Les organisations de salariés s'opposent aux critères plus stricts proposés par le patronat pour la reconnaissance des troubles musculo-squelettiques et réclament le déblocage de nouveaux tableaux de maladies professionnelles.

La tension est à son comble au sein de la commission chargée d'établir les tableaux de maladies professionnelles au Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct). Principal sujet de discorde : la modification du tableau n° 57 sur les affections périarticulaires (épaule, coude, poignet, genou). Depuis un an, un groupe de travail, constitué de représentants des organisations patronales, des syndicats de salariés et de l'administration, examine les conditions de reconnaissance du syndrome du canal carpien, un trouble musculo-squelettique (TMS) très répandu parmi les travailleurs exposés à des mouvements répétitifs du poignet ou de la main. Une première révision du tableau n° 57 portant sur les pathologies de l'épaule a déjà été opérée en 2011, provoquant de très vifs débats entre partenaires sociaux1

Durcissement des critères

Le même scénario serait-il en train de se répéter avec le syndrome du canal carpien ? Le Medef n'a pas donné suite à nos demandes réitérées d'entretien. Mais les organisations syndicales et la Fnath (Association des accidentés de la vie) ne se font guère d'illusion. Elles redoutent de voir les conditions de prise en charge se durcir considérablement, comme cela s'est déjà produit pour les TMS de l'épaule. "Il y a de toute évidence une volonté délibérée de freiner les reconnaissances afin de limiter l'impact financier pour les entreprises et la Sécurité sociale souligne le Dr Jacques Darmon, de la CFDT.

Cette révision s'inscrit dans un contexte où, selon les chiffres de la Caisse nationale d'assurance maladie, le nombre de maladies professionnelles reconnues a doublé depuis 2000, jusqu'à dépasser les 50 000 cas en 2010. Une hausse imputable à l'augmentation des TMS, qui représentent les trois quarts des maladies professionnelles. Le tableau n° 57 a ainsi permis, en 2010, la reconnaissance de 39 874 maladies. "44 % d'entre elles sont des pathologies de la main", précise Vincent Gassmann, de la CFE-CGC. Les affections de l'épaule, moins nombreuses, sont en revanche plus coûteuses, puisque 60 % de ces maladies débouchent sur une incapacité de travail.

Les salariés déclarant une maladie professionnelle inscrite dans un tableau bénéficient d'un droit fondamental : la présomption d'origine. Cela signifie que, s'ils satisfont aux critères du tableau, ils n'ont pas à démontrer le lien entre leur pathologie et leurs expositions professionnelles. L'introduction de critères plus complexes remet en cause la notion de "travail habituel" et porte atteinte à ce principe de présomption d'origine. Là où, par exemple pour les TMS de l'épaule, les facteurs d'exposition étaient, dans l'ancien tableau, des "travaux comportant des mouvements répétés ou forcés de l'épaule", le libellé, dans la nouvelle version, mentionne des "travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction : avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé, ou avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé". Si ces nouvelles conditions d'exposition ne sont pas respectées, la victime doit s'en remettre au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP). Un parcours du combattant, puisque le salarié sera alors obligé de faire la preuve que sa pathologie a un "lien direct et essentiel" avec son travail.

"Passage en force"

Les représentants syndicaux et associatifs dénoncent également la manière dont cette première révision a été conduite sous la présidence du Pr Paul Frimat. "La synthèse des débats, présentée par le président du groupe de travail, a écarté les remarques des contradicteurs et entériné des conditions de déclaration très défavorables aux victimes et en rupture avec les conclusions des experts en matière de risques. Il s'agit d'un véritable passage en force", fustige le Dr Alain Carré, de la CGT. "Nous avons le sentiment que l'administration écoute davantage le point de vue des employeurs que le nôtre", estime François Martin, vice-président de la Fnath, laquelle a engagé, avec les organisations syndicales, un recours devant le Conseil d'Etat contre cette nouvelle version du tableau. Mais en attendant, sur le terrain, la reconnaissance des maladies professionnelles de l'épaule est devenue plus difficile. "La Sécu se garde bien de communiquer des chiffres, mais nous avons des retours des régions qui témoignent de refus de reconnaître des personnes réellement malades, explique un médecin du travail. Certains cas ont été refusés parce que le malade n'avait pas fait d'IRM, alors que, à aucun moment de l'instruction, la caisse n'avait informé l'assuré et le prescripteur de la nécessité de produire cet examen, devenu obligatoire pour établir le diagnostic clinique d'atteinte de l'épaule."

Trop peu de pathologies psychiques reconnues

Face à cette offensive patronale et à une certaine passivité de l'administration, les organisations de salariés réfléchissent à une riposte pour stopper cette entreprise de détricotage. D'autant que toute tentative de créer de nouveaux tableaux se heurte à une forte résistance des employeurs. Ainsi en est-il pour les pathologies liées à l'exposition aux pesticides. Un décret du 7 mai 2012 reconnaît bien la maladie de Parkinson pour les salariés exposés à ce type de produits, mais seulement dans le régime agricole... La transposition de ce tableau dans le régime général coince. "Les employeurs nous expliquent que les agriculteurs sont les plus exposés aux pesticides, mais de nombreux salariés ou agents chargés de l'entretien des espaces verts le sont également", fait remarquer François Martin. "Sont aussi concernés tous les travailleurs de l'industrie chimique qui produisent ces pesticides, ce qui n'est pas étranger au blocage", ajoute Alain Carré.

Autre sujet qui risque de poser un problème, la reconnaissance des pathologies liées aux risques psychosociaux. En l'absence de tableau spécifique, seulement une soixantaine de maladies sont reconnues chaque année comme professionnelles, via les C2RMP. Un chiffre dérisoire. En mai 2010, un groupe de travail de la commission a été chargé d'élaborer un cadre pour faciliter l'examen des pathologies psychiques par ces comités. Les premiers travaux ont débouché sur plusieurs recommandations. Parmi celles-ci, on retiendra qu'un taux d'incapacité provisoire (IP) pourra désormais être évalué en fonction d'éléments comme l'hospitalisation de la personne, le nombre et la durée des arrêts de travail ou encore le retentissement sur la vie personnelle, sans attendre la consolidation de l'état de santé. Cela permettra à la victime, lorsque ce taux atteint 25 %, de saisir le C2RMP. "Avec ce nouveau cadre, le nombre de reconnaissances va s'accroître,escompte Jean-Luc Raymondaud, de la CFDT. Cela va plaider en la faveur de la création d'un tableau." Un optimisme que ne partage pas Alain Carré : "A l'heure où les employeurs s'échinent à saboter les tableaux existants, il est très difficile d'espérer la création d'un tableau concernant des pathologies en pleine explosion."

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    Voir "Controverse sur la révision du tableau TMS", Santé & Travail n° 73, janvier 2011.