Ne plus devoir choisir entre santé et travail

par Rozenn Le Saint / 01 février 2016

La récente diffusion d’un documentaire sur les difficultés rencontrées par certains salariés pour conjuguer santé et travail renvoie aux constats inquiétants dressés par un rapport de médecins du travail sur les causes et évolutions de l’inaptitude.

Le documentaire « Perdre sa vie à la gagner », diffusé sur France 5 le 26 janvier dernier, raconte le combat des travailleurs qui doivent choisir entre « le salaire d’aujourd’hui » et la « santé de demain ». Parmi eux, on retrouve essentiellement des salariés âgés de plus de 45 ans et des ouvriers. Ce sont également eux qui sont le plus licenciés pour inaptitude médicale, selon le recueil des indicateurs d’inaptitudes en 2014 élaboré par les médecins du travail du Nord-Pas-de-Calais. Dans près de la moitié des cas, la pénibilité au poste est estimée être à l’origine de l’inaptitude, principalement en lien avec de la manutention de charges lourdes ou des postures pénibles. Victimes, causes et solutions sont détaillées dans un rapport, diffusé fin 2015 par l’Institut de santé au travail du Nord de la France (ISTNF).

Cibler la prévention

Comment mieux accompagner ces salariés usés par le travail ? Les auteurs préconisent d’utiliser les données sur les inaptitudes pour prioriser les actions de prévention, en ciblant  les secteurs d’activité et les populations les plus touchés. Il y a ainsi davantage de déclarations d’inaptitude dans les industries alimentaires, la construction, le commerce, les activités de services administratifs et de soutien, l’hébergement médico-social et l’action sociale sans hébergement.

Un salarié déclaré inapte sur deux l’est du fait d’une maladie liée au système ostéo-articulaire, dont les troubles musculo-squelettiques. Si la prédominance de ces pathologies est ancienne, un autre chiffre est plus surprenant : un salarié déclaré inapte sur quatre l’est pour des troubles mentaux et du comportement. Faut-il y voir le reflet de l’aggravation des risques psychosociaux en entreprise ? Il est d’autant plus urgent d’agir pour prévenir ces pathologies que, dans un tiers des cas, l’inaptitude est d’origine professionnelle. Par ailleurs, les visites de préreprise, censées favoriser les aménagements de poste, n’ont lieu que dans sept cas sur dix. Encore moins pour les salariés les plus âgés...

Faciliter la réorientation professionnelle

Toujours selon le rapport, la mise en place de tels aménagements semble marquer le pas, « mais les orientations vers les organismes de formation et de réorientation professionnelle sont plus fréquentes ainsi que les sollicitations des ressources internes aux services de santé au travail, notamment les assistantes référentes maintien dans l’emploi ». Les auteurs rappellent également « l’importance de la prise en charge précoce des salariés pendant l’arrêt de travail afin d’envisager et de mettre en place les mesures de maintien dans l’emploi avec les partenaires et les employeurs et l’intérêt de développer les compétences professionnelles tout au long de la carrière pour faciliter les réorientations et reconversions professionnelles ».

 

VERS UNE REFONTE DE LA RÉGLEMENTATION EN SANTÉ AU TRAVAIL ?

Le 26 janvier dernier, Robert Badinter a remis au Premier ministre son rapport définissant les principes fondamentaux sur lesquels devrait s’établir le nouveau Code du travail. S’agissant de la santé au travail, l’ancien garde des Sceaux n’a pas laissé augurer de changements essentiels. Le droit à la santé et à la sécurité au travail figure bien parmi les 61 principes essentiels retenus par le rapport. Un droit décliné en cinq articles, de l’obligation de sécurité de l’employeur (article 39) aux garanties dont doivent bénéficier les victimes d’atteintes professionnelles (article 43), en passant par le droit de retrait en cas de danger (article 40). L’article 41 rappelle l’indépendance nécessaire des médecins du travail et le 42 précise que « l’incapacité au travail médicalement constatée suspend l’exécution du contrat de travail ».

Passer des principes à « des règles précises et impératives »

Rien de bien nouveau, donc. En attendant de voir ce que donnera la refonte effective du Code du travail, prévue d’ici à la fin de l’année 2017. « Il est toujours utile de rappeler les principes qui gouvernent une matière, mais les principes ne protègent que s’ils sont complétés par une réglementation, remarque Pascal Lokiec, professeur de droit social à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense. S’il y a bien un domaine qui exige des règles précises et impératives, c’est la santé au travail. Il est donc fondamental que les futures déclinaisons de ces principes n’organisent pas un renvoi à la négociation collective. La protection de la santé est non négociable ! »

A LIRE AILLEURS SUR LE WEB
  • – Une étude de la Dares sur l’organisation du travail et les risques psychosociaux, sur la base des résultats de l’enquête Sumer 2010.

    L’article du Monde sur le dernier livre de la psychologue du travail Lise Gaignard.