Des CHSCT en devenir dans la territoriale

par Clotilde de Gastines / janvier 2015

Débutée cette année, la mise en place des CHSCT dans la territoriale suscite doutes et espoirs chez les acteurs de la prévention. Les moyens accordés à la nouvelle instance et la capacité de ses membres à s'en saisir font toujours débat.

Le 4 décembre dernier, les agents de la fonction publique territoriale ont élu leurs représentants du personnel dans les comités techniques. Cette élection déterminera la désignation par les organisations syndicales des membres des nouveaux CHSCT, mis en place pour la première fois et pour une durée de quatre ans dans les collectivités territoriales. Un cap important pour la prévention des risques professionnels, même si de nombreux points font encore débat concernant le fonctionnement des nouvelles instances.

Ainsi, seuls les collectivités et établissements publics territoriaux de plus de 50 agents ont obligation de créer un CHSCT. Rien n'est prévu pour les plus petites collectivités. Elles ont certes la possibilité de se regrouper pour atteindre le nombre d'agents permettant de créer un CHSCT, mais rien ne garantit que cette disposition facultative soit utilisée. A défaut, le comité technique prendra la relève au niveau du centre de gestion départemental, qui administre les ressources humaines et le fonctionnement des instances représentatives du personnel pour toutes les collectivités de moins de 350 agents. "Rien que dans les petites communes de l'Hérault, 11 000 agents n'auront donc aucun droit d'accès à un CHSCT !", dénonce Philippe Damoiseau, de Sud Collectivités territoriales.

D'autres écueils sont anticipés. Lors d'un débat sur la mise en place des CHSCT, organisé en octobre dernier par le Réseau des préventeurs et ergonomes des collectivités territoriales (ResPECT), Thierry Riefflé, ergonome de la Ville de Lyon, craignait un manque de disponibilité des employeurs, les élus politiques, et des représentants du personnel, tout en redoutant un "émiettement syndical" entre le CHSCT et les autres instances représentatives. Pour Philippe Damoiseau, il y a un risque d'isolement des représentants du personnel au CHSCT, "alors que les problèmes de souffrance au travail doivent être traités collectivement au regard de l'organisation du travail". Il considère également que le temps syndical qui leur est alloué - 5 heures mensuelles pour les mandatés et 20 heures pour le secrétaire - est insuffisant compte tenu de leur mission.

Un changement culturel

Au-delà de ces éléments, c'est la capacité des membres des CHSCT à s'emparer des questions de santé au travail qui suscite le plus de commentaires. La plupart des acteurs conviennent qu'un changement culturel est nécessaire, notamment chez les élus politiques, censés présider les nouvelles instances. "Ce sera un alignement vers le haut", espère ainsi Philippe Laurent, maire de Sceaux et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT). Ce dernier sensibilise les élus des collectivités sur le fait que de mauvaises conditions de travail "ont des effets très graves à long terme et coûtent cher en mesures de reclassement professionnel" et demeure convaincu que la prévention est "l'enjeu numéro un, d'autant que la durée de vie au travail augmente". Médecin de prévention dans une commune de 1 800 agents, Florence Carruel confirme que "ce sont les chiffres de l'absentéisme, des accidents de service et surtout l'accroissement des restrictions d'aptitude qui font bouger les élus" (voir "Repères").

Repères

Entre 2011 et 2012, les taux de sinistralité en matière d'accidents de service et de maladies professionnelles ont diminué dans la fonction publique territoriale, selon les données du Fonds national de prévention de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (FNP-CNRACL). 35 616 accidents ou maladies ont été recensés en 2012. La sinistralité est plus élevée dans les collectivités de 1 à 9 agents, les filières techniques et les offices publics de l'habitat. Selon le baromètre 2013 de la protection sociale réalisé par la Mutuelle nationale territoriale (MNT), un quart des agents interrogés disent souffrir au travail, 54 % ont des troubles musculo-squelettiques (TMS), 29 % ont eu un accident de service et 26 % ont ressenti un état dépressif.

Mais leur réactivité n'est pas toujours au rendez-vous. Jacques Bride, représentant FO Service public, critique "l'indiscipline actuelle. Trop souvent, l'employeur ne remplit pas ses obligations de base, comme de renseigner le document unique d'évaluation des risques ou les fiches de poste". Cadre de la territoriale en Normandie, Laurent Dumanche regrette d'avoir "croisé peu d'élus qui s'impliquent dans l'amélioration des conditions de travail de leurs agents. Il faut convaincre les politiques et les associations d'élus de former la chaîne des cadres, pour faire naître une culture de prévention".

Suite à l'accord du 22 octobre 2013 sur la prévention des risques psychosociaux (RPS) dans la fonction publique, une circulaire du Premier ministre du 20 mars 2014 engage pourtant chaque employeur public à "être exemplaire à l'égard de ses agents et à prévenir ce type de risque dans le respect de son obligation de résultat en matière de protection de la santé physique et mentale". Une piqûre de rappel nécessaire pour des élus rarement au fait de leurs responsabilités. "Il existe une obligation de moyens, mais pas vraiment de résultat", assure ainsi Philippe Laurent. Pour de nombreux élus, le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales les dispense des mêmes obligations que les autres employeurs. Ce n'est pas tout à fait vrai.

Si ce principe justifie que l'Inspection du travail n'intervienne pas ou peu dans la fonction publique, s'il épargne aux employeurs publics l'application du délit d'entrave, il ne fait pas obstacle à l'obligation de sécurité de résultat dans la territoriale. Une certitude pour Serge Dufour, du cabinet d'expertise CHSCT Aliavox, qui cite une circulaire d'octobre 2002 précisant qu'"un élu doit faire cesser un dommage quand il en a connaissance, sous peine d'être accusé de mise en danger d'autrui". Peu de syndicats et de CHS le savent. Ils manquent souvent "d'expertise pour conduire des poursuites contre l'administration en cas de dommage", observe l'expert.

Quelle formation ?

Car, du côté des représentants du personnel, la formation est cruciale. "La création du CHSCT va obliger les syndicats à travailler sur les conditions de travail", reconnaît Christophe Godard, secrétaire national de l'UGFF-CGT. Les nouveaux mandatés auront droit à cinq jours de formation, dont trois pilotés par l'employeur, comme le stipule une annexe de l'accord d'octobre 2013 sur les RPS. Les organisations syndicales, qui s'inquiètent de leur contenu, ne pourront choisir leur centre de formation que pour les deux jours restants. Soit peu de temps pour aborder le droit d'alerte, le recours à l'expertise... Deux journées spécifiques sont aussi prévues sur les risques psychosociaux cette année.

Il est primordial de "professionnaliser les membres du CHSCT par le terrain", estime pour sa part Sophie Bouchard, préventrice pour le centre de gestion des Alpes-Maritimes. Pour elle, le CHSCT peut devenir un lieu d'échanges constructifs sur les conditions de travail si ses membres multiplient les visites sur les lieux de travail et sont bien identifiés par les agents. La question de leur coopération avec les autres acteurs de la prévention est aussi posée. "Ça ne marche pas bien dans la fonction publique d'Etat", selon Christophe Godard, notamment du fait de la pénurie de médecins de prévention. Quant aux nouveaux assistants et conseillers de prévention et aux agents chargés de la fonction d'inspection (Acfi), ils attendent encore de connaître le texte relatif à leur formation, dont la parution est imminente.

Enfin, la réforme territoriale en cours risque de compliquer un peu plus la mise en place des CHSCT. "Avec la création des métropoles en janvier, beaucoup d'élections devront être revues et corrigées", explique Jacques Bride.