Nathanaël Mergui/FNMF

Pesticides, gestes répétitifs, précarité... Le risque est dans le pré

par François Desriaux / octobre 2013

Souvent, ils ont choisi ce métier d'agriculteur parce qu'ils aiment la nature, qu'ils sont épris de liberté et de vie au grand air. Et puis, quoi de plus noble que de nourrir la terre et les hommes ? Mais ça, c'était avant. Le travail agricole n'est plus ce qu'il était. Soumis à des contraintes productives renforcées, imposées en amont par les semenciers ou des normes de qualité et en aval par les coopératives agricoles ou la grande distribution, le travail s'est intensifié, standardisé, précarisé aussi. A une activité qui reste pénible physiquement, malgré la mécanisation, est venue s'ajouter une charge mentale élevée. Accusés de polluer les eaux et les sols avec les engrais, les agriculteurs sont souvent montrés du doigt quant à la piètre qualité de ce qui arrive dans nos assiettes. Difficile d'être fier de son travail quand les journaux de consommateurs font leur une sur les légumes sans goût, la viande bourrée d'antibiotiques et les fruits chargés de pesticides. Mais on oublie un peu vite que les travailleurs de la terre sont les premières victimes des produits phytosanitaires, et des cancers et maladies neurodégénératives qui vont avec. Un million de personnes travaillent dans l'agriculture aujourd'hui en France. Il serait peut-être temps d'inventer un modèle productif plus respectueux de l'environnement, de notre alimentation et de leur travail.

La toxicité des pesticides, enjeu de santé publique

par Isabelle Baldi épidémiologiste / octobre 2013

L'épidémiologie atteste d'un lien entre l'exposition professionnelle aux pesticides et l'apparition de cancers et maladies neurodégénératives. Mais il reste à identifier précisément les molécules à risque pour les nombreuses personnes exposées.

Les pesticides désignent communément des substances permettant de lutter principalement contre les insectes, les maladies fongiques et les "mauvaises herbes". Ils sont notamment très utilisés en agriculture pour protéger les cultures ("produits phytopharmaceutiques"), mais également dans beaucoup d'autres activités professionnelles (entretien des espaces verts, traitement du bois, désinsectisation de locaux, usages vétérinaires...) ainsi que pour des usages domestiques ("biocides"). Depuis la Seconde Guerre mondiale, l'essor de l'industrie chimique a conduit à l'apparition de très nombreux pesticides de synthèse - plus de 1 000 homologués - et à un accroissement important des quantités utilisées dans tous ces usages.

Effets à court et long termes

L'apparition de ces nouvelles molécules, généralement plus efficaces contre les nuisibles que les molécules inorganiques qui les ont précédées (sulfate de cuivre, chaux...), a permis des progrès notables dans la qualité et la quantité des récoltes ainsi que dans la lutte contre les vecteurs de maladies. Cependant, leur large diffusion et leur potentiel toxique ont aussi soulevé des interrogations concernant leur risque pour la santé humaine.

Aussi, depuis les années 1980, les effets sanitaires des pesticides ont, au plan international, fait l'objet de nombreuses recherches, à la fois épidémiologiques et toxicologiques. Les effets à court terme ont été documentés par l'étude de situations d'intoxication aiguë, ainsi que par des enquêtes menées au décours de journées de traitement. Les effets à long terme restent plus difficiles à appréhender. Les connaissances épidémiologiques dans ce domaine proviennent principalement de travaux menés en milieu agricole. De manière convergente, les cancers sont globalement moins fréquents au sein des populations agricoles qu'en population générale ; cependant, certaines localisations spécifiques apparaissent en excès, telles que les cancers hématologiques (lymphomes malins, myélomes, leucémies...), de la prostate, du cerveau, de la peau et les sarcomes des tissus mous. Même si d'autres facteurs de risque peuvent être évoqués pour certains de ces cancers (rayonnements ultraviolets, virus d'origine animale...), l'exposition aux pesticides est une piste privilégiée pour expliquer ces excès.

Des atteintes à la santé mieux reconnues
Stéphane Vincent

Au prix de longs combats, certains agriculteurs ont pu ces dernières années faire reconnaître en maladies professionnelles des pathologies liées aux pesticides. Ont-ils été entendus ? En tout cas, avec l'avancée des connaissances scientifiques, la liste des tableaux de maladies professionnelles du régime agricole s'est agrandie. Depuis mai 2012, la maladie de Parkinson fait l'objet d'un tableau 58, permettant sa reconnaissance au titre des atteintes professionnelles pour les actifs agricoles exposés aux pesticides. Et le 18 juin dernier, la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap), chargée de donner son avis sur l'élaboration ou la révision des tableaux, s'est prononcée en faveur de la création d'un nouveau tableau sur les hémopathies (maladies du sang) en lien avec l'exposition aux pesticides. Un avis favorable soutenu par les organisations syndicales de salariés mais aussi par la Confédération paysanne, syndicat d'employeurs. Celle-ci, dans un communiqué, demande également "une refonte du parcours justificatif exigé pour la reconnaissance d'une maladie", dénonçant "les obstacles administratifs" auxquels sont confrontées les victimes. En revanche, la FNSEA s'est opposée à cet avis. Dans un communiqué, elle rappelle que les agriculteurs ont utilisé les pesticides incriminés "en toute légitimité, avec l'aval de l'Etat et sur les conseils des fabricants", et refuse qu'ils soient les seuls à assumer le coût des pathologies qui en découlent.

Par ailleurs, certaines pathologies neurologiques ont également été associées à l'utilisation professionnelle de pesticides. C'est notamment le cas de la maladie de Parkinson, de certains troubles anxiodépressifs, mais aussi d'altérations cognitives, potentiellement prédictives de la maladie d'Alzheimer. Plusieurs études ont également mis en évidence des risques concernant le développement mais aussi l'apparition, en cours de gestation, de tumeurs chez des enfants de mères professionnellement exposées aux pesticides. Enfin, des effets endocriniens, immunitaires et respiratoires ont été documentés dans certaines recherches épidémiologiques menées en milieu agricole.

Pour certains des effets de santé, en particulier la maladie de Parkinson et les cancers hématologiques, le nombre d'études existantes et la convergence de leurs résultats ont permis d'estimer que le niveau de présomption concernant le lien avec l'exposition professionnelle aux pesticides était fort. Pour d'autres, les incertitudes sont plus nombreuses. De manière générale, les difficultés rencontrées dans ces études sont importantes et conduisent à répliquer les travaux et à faire évoluer les méthodologies. Les principales limites concernent la possibilité d'établir un lien avec des molécules pesticides précises. La complexité des expositions à ces produits appelle une réflexion spécifique en matière de recherche.

Mieux connaître les voies d'exposition

Si moins de dix substances étaient disponibles pour une culture donnée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, c'est jusqu'à plusieurs centaines qui ont été mises sur le marché pour chaque culture depuis cette date. De plus, les modes d'utilisation de ces substances démontrent des particularités mal documentées (type de matériel utilisé, mode de préparation et d'application, nombre de traitements, associations de produits) qui influencent le niveau d'exposition des individus. Par ailleurs, les expositions surviennent lors des opérations de traitement, mais également lors du contact avec les végétaux traités ou par simple présence dans un lieu où des pesticides sont utilisés. Aujourd'hui, plus d'un million de personnes travaillent encore dans l'agriculture en France et sont donc potentiellement exposées, un effectif doublé lorsqu'on prend en compte les expositions au cours de la vie et donc les retraités de ce secteur. Sans compter les salariés d'autres activités concernées.

A l'évidence, la question des effets des pesticides sur la santé est devenue une réelle préoccupation de santé publique. Elle a bénéficié de la mise en place de différentes actions de l'Etat : plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides 2006-2009, plan national santé-environnement, Observatoire des résidus de pesticides, Ecophyto 2018... De plus, depuis 2010, des patients atteints de troubles rapportés aux expositions aux pesticides se sont organisés au sein d'associations afin de faire valoir leurs droits vis-à-vis des firmes productrices de pesticides et de l'Etat. Nul doute que l'amélioration des connaissances poursuivra son chemin et permettra de faire évoluer dans les prochaines années les procédures de mise sur le marché, les conditions d'utilisation de ces produits et les démarches de prévention des risques.