Le gouvernement se penche sur les agents chimiques dangereux

par Rozenn Le Saint / 16 novembre 2017

Une mission sur le suivi des expositions aux agents chimiques dangereux vient d’être confiée au Pr Paul Frimat, expert en santé au travail. Au moment où une étude inédite de l’Institut syndical européen rappelle le coût élevé des cancers professionnels.

Retropédalage du gouvernement sur le sujet sensible des agents chimiques dangereux (ACD). Les ministres du Travail et de la Santé viennent de confier à Paul Frimat, professeur de médecine du travail, une mission sur le suivi et la prise en charge des expositions professionnelles à ces produits, dont font partie les substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). Une nomination intervenue le 10 novembre, après la levée de boucliers suscitée par l’exclusion du risque chimique et de trois autres facteurs de risque du nouveau compte professionnel de prévention (CPP), qui remplace désormais le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P).

Compensation limitée

Concernant les six facteurs de risque qui restent dans le CPP, c’est toujours l’exposition aux nuisances qui est prise en compte pour la compensation de la pénibilité, cette compensation pouvant se traduire par des droits en matière de formation/reconversion, le financement d’un passage à temps partiel ou celui d’un départ en retraite anticipé. En revanche, pour les quatre facteurs de risque exclus du nouveau dispositif, la survenue d’une pathologie professionnelle reconnue comme telle sera nécessaire, à condition qu’elle s’accompagne d’un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 10 %. Et elle n’ouvrira droit qu’à un départ anticipé en retraite. Or, pour les agents chimiques dangereux, il est fréquent que les pathologies n’apparaissent qu’après l’âge de la retraite. Où est donc la compensation ?

Au-delà de l’absence probable de réparation des conséquences sur la santé des expositions aux ACD, les évolutions successives d’un dispositif sous le feu des critiques du Medef ont entraîné l’abandon de la traçabilité individuelle des expositions des salariés à ces agents chimiques dangereux. Et donc un angle mort dans la prévention de ces risques.

« Renforcer les mesures de prévention »

D’où la lourde tâche de Paul Frimat. L’ancien président du conseil scientifique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) aura quelques semaines pour auditionner chercheurs, partenaires sociaux et représentants des professionnels de la santé au travail et rédiger ses conclusions. Celles-ci sont attendues d’ici au 31 janvier prochain.

Sa mission poursuivra trois objectifs. Tout d’abord, « renforcer les mesures de prévention en la matière, à travers un bilan des obligations des employeurs concernant l’utilisation et l’exposition à des agents chimiques dangereux, et des préconisations pour renforcer l’effectivité de ces obligations ». Ensuite, « s’assurer des modalités du suivi de l’exposition des salariés », notamment via le dossier médical en santé au travail du salarié. Enfin, « étudier des modalités adaptées de prise en compte des salariés concernés dans les règles d’indemnisation », notamment en cas de survenue d’un cancer dont l’origine serait professionnelle.

En France, 50 milliards d’euros par an

Un chantier sensible, car la faible reconnaissance de l’origine professionnelle des cancers coûte cher à la société. Un constat rappelé par l’Institut syndical européen, lors d’un colloque organisé le 14 novembre à Bruxelles. Selon les résultats d’une étude menée par le chercheur anglais Daniel Vencovsky sur le coût des cancers professionnels au sein de l’Union européenne (UE), celui-ci se situerait entre 270 et 610 milliards d’euros… Soit un impact représentant entre 1,8 % et 4,1 % du PIB de l’UE. Rien que pour la France, les coûts liés aux cancers professionnels seraient de 50 milliards d’euros par an, l’équivalent de 2,4 % du PIB de l’Hexagone ! Et ce, en prenant en compte les coûts directs liés à l’Assurance maladie (remboursement des traitements thérapeutiques, notamment), mais aussi ceux indirects, tels que la diminution de la productivité liée à l’absentéisme causé par les pathologies.

Nombre de cancers professionnels sous-estimé chez les femmes

La fourchette est large, car l’estimation du nombre de cancers ayant une origine professionnelle varie de façon importante selon les critères retenus et les études. Mais Daniel Vencovsky a retenu qu’entre 6 % et 12 % des cancers déclarés aujourd’hui pourraient être attribués à une exposition à un ou plusieurs agents cancérogènes professionnels parmi les 25 principaux sélectionnés, comme le diesel, l’amiante, le benzène ou encore le travail de nuit. « Entre 3 % et 7 % des femmes auxquelles on diagnostique un cancer chaque année ne l’auraient pas développé si elles n’avaient pas été exposées dans le cadre de leur travail. Les études précédentes sous-estimaient le nombre de femmes touchées, en n’intégrant pas le facteur du travail de nuit par exemple, ce qui explique que nous avons trouvé une proportion totale plus élevée », explique Daniel Vencovsky. Et Tony Musu, chercheur à l’Institut syndical européen, de rappeler que chaque année 100 000 Européens perdent leur vie à la gagner du fait de la survenue d’un cancer d’origine professionnelle.

 

 

A LIRE AILLEURS SUR LE WEB

– Les fumées de soudage seront prochainement classées « cancérogènes avérés » (catégorie 1) par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), comme l’annonce l’INRS. The Lancet Oncology publie un résumé des évaluations à venir du Circ.

– L’interview d’Alain Rochon, président de l’Association des paralysés de France, dans Le Monde, à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées.