© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE

Pesticides et cancers : liaisons dangereuses

par Rozenn Le Saint / juillet 2013

Selon une expertise de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'exposition à certains pesticides est source de cancers, notamment chez les travailleurs agricoles. Un constat qui appelle une meilleure prévention.

Le lien entre l'utilisation de pesticides et certaines pathologies n'était plus à prouver en France, pays qui se situe parmi les cinq premiers consommateurs mondiaux. Mais l'expertise collective, rendue le 13 juin par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) suite à une commande de la direction générale de la Santé (DGS), est la première à regrouper les études épidémiologiques et toxicologiques internationales les plus poussées. Dans l'Hexagone, 90 % des pesticides utilisés le sont dans l'agriculture, faisant des travailleurs du secteur les plus exposés, à 80 % par voie cutanée. Mais d'autres professions, liées à la production des produits phytosanitaires, au traitement du bois et à l'entretien des voiries et jardins, sont également concernées. Intitulé Pesticides, effets sur la santé, le rapport de l'Inserm se focalise sur les effets différés à long terme, cancers et pathologies neurodégénératives. Le lien de présomption avec l'exposition aux pesticides est fort pour deux hémopathies malignes (lymphomes non hodgkiniens et myélomes), le cancer de la prostate, la maladie de Parkinson et certains cancers de l'enfant (leucémies et tumeurs cérébrales) en cas d'exposition professionnelle de la mère pendant la grossesse.

Vers une interdiction des produits dangereux ?

Côté prévention, se pose bien sûr la question de l'interdiction des produits les plus incriminés dans le rapport. Même si la majorité d'entre eux ne sont plus sur le marché, comme les pesticides organochlorés ou la plupart des organophosphorés, les effets à retardement se font encore sentir aujourd'hui. "75 % des herbicides, fongicides et insecticides utilisés il y a une vingtaine d'années ne sont plus autorisés", précise Gérard Lasfargues, directeur général adjoint scientifique de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), auditionné par le groupe d'experts. L'interdiction relève de la compétence de l'Union européenne et, pour l'heure, seul un pesticide est particulièrement sur la sellette : le chlorpyrifos, de la famille des organophosphorés. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) devrait rendre les résultats de ses analyses à la fin de cette année.

Mais, en France, le ministère de l'Agriculture est d'ores et déjà en capacité de suspendre l'utilisation des substances actives suspectes mises en lumière par l'expertise collective de l'Inserm, comme le fongicide mancozèbe, de la famille des dithiocarbamates, ou encore des herbicides comme le 2,4-D et glyfosate. Toutefois, la liste noire est loin d'être exhaustive. D'ailleurs, le rapport préconise de pousser les recherches, qui devraient l'allonger encore, et demande "la création d'une base de données [...] comportant les compositions intégrales des produits commerciaux, substances actives et adjuvants", en levant tout secret industriel.

Ces futures études permettraient aussi de mettre en évidence les "cocktails explosifs provoqués par les mélanges de substances chimiques", selon Gérard Bapt, député PS (Haute-Garonne) chargé de présenter le travail des scientifiques, en tant que président du groupe d'étude "santé environnementale". Dans l'Hérault, 117 pesticides différents sont par exemple utilisés en viticulture. Sur la centaine de familles chimiques de pesticides identifiées, les plus dangereuses pour la santé devraient voir leur utilisation suspendue, selon Gérard Bapt. En attendant, estime le parlementaire, "les pouvoirs politiques devraient inciter davantage à la réduction de la consommationAlors que le plan Ecophyto exige une baisse de 50 % d'ici à 2018, pour l'heure, les quantités utilisées stagnent".

En plus de cette prévention à la source, Isabelle Baldi, médecin épidémiologiste et coauteure du rapport, pointe "une amélioration nécessaire dans la conception des engins de pulvérisation de pesticides". Par exemple, les pulvérisateurs devraient être placés à l'arrière du tracteur plutôt qu'à l'avant, de manière à éviter aux agriculteurs de traverser directement le nuage de produits lors de l'épandage.

Améliorer les équipements de protection

Enfin, les équipements de protection individuelle (EPI) mériteraient aussi d'être perfectionnés. "La plupart des tenues sont impossibles à porter l'été, notamment en arboriculture ou en viticulture, explique le Pr Gérard Lasfargues. L'Anses travaille sur des mesures de terrain pour vérifier l'efficacité des vêtements de protection habituellement portés et des EPI, afin de préconiser des équipements adaptés aux différentes situations d'exposition des professionnels."

Si la question de la réparation au titre des maladies professionnelles des pathologies liées à une exposition à des produits phytosanitaires n'est pas abordée dans le rapport, ce dernier alimentera la réflexion sur le sujet. Le 6 mai 2012, la maladie de Parkinson provoquée par les pesticides a fait son apparition dans un nouveau tableau (n° 58) de maladies professionnelles, uniquement pour le régime agricole. Et d'ici à la fin de l'année, ce pourrait bien être au tour de deux hémopathies malignes, les lymphomes non hodgkiniens et les myélomes. Les discussions devaient en tout cas s'ouvrir le 18 juin, lors de la réunion de la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap). Avec une attention particulière portée sur les résultats du rapport de l'Inserm.

En savoir plus
  • La synthèse de l'expertise Pesticides : effets sur la santé est téléchargeable sur le site Internet de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale : www.inserm.fr