Un conflit éthique au travail dû à l’environnement

par Frédéric Lavignette / 05 janvier 2024

Quand elle n’évoque pas une tâche mal accomplie, l’expression « sale boulot » suggère généralement un emploi pénible ou dégradant. De plus en plus, un autre sens y est associé, celui du travail polluant. Ce dernier suscite un scrupule à nuire à l’environnement de par son activité professionnelle. 
Jusqu’alors peu étudié, le « conflit éthique environnemental au travail » vient de faire l’objet d’une première analyse empirique dans la revue Travail et Emploi de la Dares du 14 décembre dernier. Selon l’étude de Thomas Coutrot, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) qui s’est appuyé sur l’enquête Conditions de travail 2019, 31 % des actifs occupés considèrent ainsi que leur travail peut avoir « des conséquences négatives pour l’environnement ». Pour 7 % d’entre eux, c’est même « toujours » ou « souvent » le cas. 
Ce sentiment négatif est surtout le fait d’ouvriers régulièrement exposés à des produits toxiques : ils sont 14 % à déclarer avoir « toujours » ou « souvent » l’impression de polluer. Nombre d’entre eux ne peuvent contrarier ces « atteintes directes » à l’environnement en raison d’une faible autonomie dans leur entreprise, et de leur insécurité économique et sanitaire au travail. Chez les exploitants agricoles, le taux de « conflit direct » est de 10 %, et 45 % l’éprouvent « parfois ». Parce qu’ils sont plus souvent exposés à des produits chimiques, les ouvriers hommes sont plus nombreux que les ouvrières à déclarer un tel conflit éthique environnemental direct (9 % contre 6 %), et ce même si les femmes sont plus sensibles à la notion de « care ». Les jeunes sont les premiers concernés par ce conflit éthique (10 %) ainsi que les salariés étrangers et les intérimaires. « Ce qui renvoie sans doute au fait qu’ils sont souvent affectés à des tâches dangereuses et salissantes », traduit l’étude. 
L’« atteinte indirecte » produit aussi un conflit intérieur mais, cette fois, davantage du côté des chercheurs, des professionnels de la communication et de la vente, et des cadres du BTP. En effet, via « les techniques de la publicité, du marketing et de l’innovation », ils estiment contribuer au fonctionnement du consumérisme et à la surexploitation de la nature depuis leurs bureaux. Encore peu fréquent en 2019, précise Thomas Coutrot, ce « conflit fonctionnel » pourrait « se développer rapidement dans les années à venir », surtout si les sondages d’opinion confirment l’éveil croissant du désastre environnemental.